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Histoire

Le Théâtre de Carouge a ainsi plusieurs histoires à raconter. Et par où commencer si ce n’est par le début. Mais nous avons eu envie, pour dérouler ces années où il a écrit ses propres actes, de vous inviter également en ses coulisses, ses marges, de faire des pas de côté et de vous proposer d’autres histoires : celles des femmes et des hommes qui ont travaillé pour lui, celles de ces femmes et de ces hommes auprès de qui l’amour du théâtre a été contagieux, et puis des documents, des images, des interviews, des textes, des questions, afin que cette histoire du théâtre soit à la fin non pas une seule histoire, mais bien ce qu’il est : une infinité de chemins.

Au commencement

Un nombre d’or (1947-1957)

Au sortir d’une guerre mondiale qui venait de déchirer l’humanité au point que les philosophes se demandaient s’il était encore possible, après la barbarie, d’écrire de la poésie**, les théâtres cherchaient à prendre une place nouvelle au sein de la société et à proposer de nouvelles écritures et de nouveaux récits.

À Genève en 1947, le Théâtre de La Comédie venait tout juste d’être municipalisé par la ville, qui s’engageait alors à en assurer le subventionnement. Mais afin de diminuer les coûts de la troupe maison, elle avait au passage restreint le nombre des comédiennes et des comédiens. Parallèlement survint l’ouverture d’un nouveau lieu : le théâtre de Poche, alors dirigé par Fabienne Faby. Il se voulait un théâtre de création, consacrant un certain temps aux répétitions alors que La Comédie avait toujours enchainé les créations en n’accordant qu’une petite semaine d’installation. La première pièce est La putain respectueuse de Sartre. Elle sera suivie de nombreux vaudevilles. Mais un nouveau théâtre offre toujours de nouvelles ambitions au monde du théâtre tout entier, et des initiatives fleurirent alors, portées par l’énergie de troupes à la passion irrépressible. C’est ainsi que fut construit un jour, au lieu-dit la Grande-Boissière, un théâtre antique.

Bâti sur le modèle d’Epidaure* – dont la magie, cependant, tenait originellement du choix du lieu – et élaboré sur le principe du nombre d’or**, il comportait quatorze gradins en hémicycle montés sur une colline. Inauguré par l’accueil des 5èmes Delphiades, il accueillit de 1957 à 1971 de nombreux spectacles professionnels en lien avec le Théâtre de Carouge. Le théâtre a des siècles d’existence et pendant des siècles il avait lieu dehors*, en pleine journée, et était présenté à toute la population. Les rôles féminins et masculins étaient portés par des hommes uniquement et il n’y avait pas de frontière entre la salle et le public. Puis, peu à peu, la scène a pris une autre place, les spectateurs et spectatrices aussi, les salles se sont dotées d’un toit, d’un rideau, de gradins, de velours, et de silence. Mais à Genève en cette moitié de XXe siècle, on avait donc décidé de rejouer la carte du plein air. Ce théâtre antique fut une folie nécessaire, offrande fabuleuse tant pour le public que pour les compagnies genevoises.

C’est là que fut présenté à la fin du mois d’août 1957 un Hamlet mémorable, dans la version d’André Gide[1]. Les droits de représentations réservés avaient été arrachés de haut vol pour cinq représentations par François Simon, comédien fabuleux qui connaissait suffisamment Jean-Louis Barrault[2] (comédien, mime, et metteur en scène ayant travaillé notamment avec le poète Jacques Prévert[3]), officiellement détenteur des droits, pour y avoir accès. Voilà : parler de théâtre, c’est aussitôt parler d’une famille, d’un labyrinthe de noms, de visages, et de vies.

La pièce entra immédiatement dans les mémoires*, lançant la suite.


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François Simon et Philippe Mentha (1957-1962)

1957-1962 sont les années durant lesquelles François Simon et Philippe Mentha, principaux metteurs en scène, développent l’identité singulière du Théâtre de Carouge et fidélisent le public..

Mais François Simon (que les intimes nomment Michel, de son prénom de naissance) est aussi le fils de Michel Simon (qui, lui-même, s’appelait en réalité François à la naissance), genevois devenu véritable monstre sacré du cinéma (repéré par Jean Renoir) et du théâtre français (formé lui aussi par Pitöeff).

François côtoie Jean Vilar (fondateur du Théâtre national populaire et du Festival d’Avignon), et Jean-Louis Barrault. Il est amoureux fou du théâtre et a crée sa compagnie (même plusieurs) : il est prêt. Il engage vingt comédiens, s’engage lui-même, sa femme Jutta Jingero, qui est danseuse, ainsi que leur fille Maya, qui donnera le prologue, et commence les répétitions avec fougue, corps au vent. La presse, au lendemain de la première, s’enthousiasme et parle d’une « réussite parfaite dans le ton, les mouvements, les éclairages, les jeux de scène » (Isabelle Vichniac, Combat, Paris, 4 septembre 1957). Elle évoque une mise en scène « intelligemment pensée et réalisée, qui ne relâche à aucun moment toute sa densité » (« Ca. », Le Courrier,  2 septembre 1957). La carte est jouée, elle ne sera que la première. Il a autour de lui de jeunes comédiens et comédiennes au talent incontestable, parmi lesquels Philippe Mentha, qui tient les premiers rôles au Grenier de Toulouse. Lui s’est formé à Genève auprès de Nora Sylvère[1], (1951-1953) et à Paris de Tania Balachova (1953-1955)[2]. En compagnie de Pierre Barrat le groupe se met alors à la recherche d’une salle où s’implanter de façon permanente et c’est Louis Gaulis, futur auteur maison, qui déniche à Carouge la Salle du Cardinal-Mermillod, ancienne chapelle transformée en salle de paroisse désaffectée et vouée à la démolition. En réalité, le lieu avait été, avant d’être une église, un ancien dépôt de bières, puis un cinéma. Autant dire qu’il était favorable à la mue. Marier une église à un théâtre est un coup de maître, le rapport scène-salle y était miraculeux. Judith Malina, du Living Theater qui y a produit Antigone (voir les années 66-67) en garda le plus beau souvenir de sa carrière. La famille s’y installe et prend le nom de : Théâtre de Carouge. En 1957, on fait ainsi de ce qui était promis à la ruine, un élan. On poursuit une histoire, même si d’aucuns lui promettent la noyade. Allons donc, ouvrir un théâtre aux faubourgs de la ville, dans la commune de Carouge peuplée d’ouvriers et d’artisans… Et pourtant. Ce jour-là un grand théâtre est né.

Le photographe Jean Mohr immortalise les premières répétitions, en plein hiver. Les comédiennes et comédiennes grelottent, mais rien n’arrête une troupe qui a faim de jeu. Le premier spectacle sera un Shakespeare, La nuit des rois (1602). Il pose l’identité du théâtre : présenter des oeuvres dans leur intégralité en s’appuyant sur les ressources propres aux arts de la scène. Servir par l’acte de la représentation un texte, en en respectant l’intégralité. Les premiers soutiens sont rares. Radio-Genève fait vivre les comédien.ne.s par ses « dramatiques » enregistrées chaque matin, la Télévision suisse romande diffuse en direct La nuit des rois, rejouée pour elle dans son studio, mais ce sont des aides encore indirectes. Par la suite le Conseiller d’état socialiste Jean Treina accordera une petite somme d’aide. La feuille de salle déroule la distribution, expose la musique, ainsi que sur deux pages la vie de Shakespeare et son contexte culturel. Le 30 janvier 1958 à 20h45 à Carouge résonnent alors les premiers mots :

ACTE I
Scène 1
[Musique.]
Entrent Orsino, le duc d’Illyrie, Curio, et d’autres seigneurs.

Le duc –
Si la musique est nourriture d’amour, joue encore,
Donne-m’en à l’excès afin que, rassasié,
Mon appétit languisse et meure.

Les moyens sont restreints mais Hélène Cingria, dans un article des Lettres Françaises de la fin 1957 y repère le signal d’une renaissance du théâtre à Genève. Durant les premières années, les costumes seront parfois loués à des maisons (pour les vêtements historiques) parfois réalisés à partir de rien, de chutes, de toiles de jute (colorées avec de la peinture pour carrosserie) qui râpent la peau et font transpirer les corps. Mais le destin accomplira le vœu : initialement attribué pour six mois, le bail de ce premier théâtre carougeois sera renouvelé.

1957-1962 sont les années durant lesquelles François Simon et Philippe Mentha, principaux metteurs en scène, développent l’identité singulière du Théâtre de Carouge et fidélisent le public. Il est ce théâtre « à la pointe de la vie » voulut par François Simon, et propose un répertoire d’œuvres classiques autant que modernes* (Shakespeare, Goldoni, Tchékhov, Gorki, Brecht, mais aussi Beckett, Frisch ou Ionesco) et créations d’auteurs locaux (Louis Gaulis, Walter Weideli, José Herrera Petere). Qui s’en surprendra : la force y tient alors déjà aux talents des interprètes.

 


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Georges et Ludmila Pitoëff

François Simon, c’est l’héritier des talents du couple Georges et Ludmila Pitoëff qui l’accueillent dans leur Cie et accompagnent sa formation.

Georges, acteur, metteur en scène, décorateur, traducteur, est l’un des quatre fondateurs de l’association « Le Cartel des Quatre » crée en 1927, regroupant avec lui Louis Jouvet, Charles Dullin[2], Gaston Baty, et basé sur « l’estime professionnelle et le respect réciproque qu’ils ont les uns pour les autres. » Un collectif qui signe un manifeste, et un engagement.

Il épouse Ludmila le 14 juillet 1915. Ils ne cesseront dès lors plus de vivre et travailler ensemble, portant haut amour et passion. À Genève, dans la salle communale de PlainPalais, un théâtre porte aujourd’hui leur nom. Lorsqu’il s’installera à Paris le couple aura crée pas moins de soixante spectacles à Genève et embarquera dans ses bagages sa troupe genevoise, 23 personnes au total, comédien.nes, administrateur et techniciens compris.

 

 

 


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Toutes et tous ont participé à écrire cette fabuleuse odyssée.

Les noms de femmes autrices et metteures en scène manquent parfois dans les récits, l’époque n’est pas encore à leur ouvrir la direction de jeu ou d’écriture, mais les secrétaires, les cuisinières, les compagnes – notamment l’épouse de François Simon, Jutta Simon, engagée comme lui dans la bataille pour l’art, comptent autant que les comédiennes : Lise Ramu, Camille Fournier, Tatiana Moukhine, Toni Maag en plus de Claire Dominique, Leyla Aubert, Berthe Sassi (administratrice et qui jouera la femme de chambre des Trois Soeurs montées en 1954 !), Jane Falquet, Simone Turck (comédienne et metteure en scène au Grenier de Toulouse, qui fit une apparition lors d’un spectacle d’été), Nadine Marziano (qui joua à La Comédie Française de 1937 à 1945), Germaine Epierre, Monique Mani, Denise Gouverneur, Michèle Didier, Janet Haufler, Marika Hodjis, Jane Friedrich, Nina Kethevan, Camille Fournier, Claire Dominique, Tatiana Moukhine, Toni Maag, ainsi que les élèves : Jane Friedrich, Marika Hodjis, Nina Kéthevan ou Janet Haufler, dont plusieurs ont fait hors Carouge des carrières remarquables, comme du reste d’autres comédiennes de passage comme Evelyne Istria ou Michelle Rossignol.

On ne peut pas non plus passer sous silence les décorateurs – Gilbert Koull, qui a marqué les premières saisons, Serge Diakonoff, Roger Gaulis, et surtout, à partir de la saison 1963-4, le tout jeune Jean-Marc Stehlé[1], qui fera une très grande carrière de décorateur et d’acteur : faisant ses débuts à Carouge il y constitue une équipe formidable, avec notamment le futur créateur de masques Werner Strub (c’est avec eux deux que Benno Besson fera L’Oiseau Vert en 1982, et  un menuisier et constructeur de génie, Joseph Wenger.

Toutes et tous ont participé à écrire cette fabuleuse odyssée.


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Georges et Ludmila Pitoëff

François Simon, c’est l’héritier des talents du couple Georges et Ludmila Pitoëff qui l’accueillent dans leur Cie et accompagnent sa formation.

Georges, acteur, metteur en scène, décorateur, traducteur, est l’un des quatre fondateurs de l’association « Le Cartel des Quatre » crée en 1927, regroupant avec lui Louis Jouvet, Charles Dullin[2], Gaston Baty, et basé sur « l’estime professionnelle et le respect réciproque qu’ils ont les uns pour les autres. » Un collectif qui signe un manifeste, et un engagement.

Il épouse Ludmila le 14 juillet 1915. Ils ne cesseront dès lors plus de vivre et travailler ensemble, portant haut amour et passion. À Genève, dans la salle communale de PlainPalais, un théâtre porte aujourd’hui leur nom. Lorsqu’il s’installera à Paris le couple aura crée pas moins de soixante spectacles à Genève et embarquera dans ses bagages sa troupe genevoise, 23 personnes au total, comédien.nes, administrateur et techniciens compris.

 

 

 


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Toutes et tous ont participé à écrire cette fabuleuse odyssée.

Les noms de femmes autrices et metteures en scène manquent parfois dans les récits, l’époque n’est pas encore à leur ouvrir la direction de jeu ou d’écriture, mais les secrétaires, les cuisinières, les compagnes – notamment l’épouse de François Simon, Jutta Simon, engagée comme lui dans la bataille pour l’art, comptent autant que les comédiennes : Lise Ramu, Camille Fournier, Tatiana Moukhine, Toni Maag en plus de Claire Dominique, Leyla Aubert, Berthe Sassi (administratrice et qui jouera la femme de chambre des Trois Soeurs montées en 1954 !), Jane Falquet, Simone Turck (comédienne et metteure en scène au Grenier de Toulouse, qui fit une apparition lors d’un spectacle d’été), Nadine Marziano (qui joua à La Comédie Française de 1937 à 1945), Germaine Epierre, Monique Mani, Denise Gouverneur, Michèle Didier, Janet Haufler, Marika Hodjis, Jane Friedrich, Nina Kethevan, Camille Fournier, Claire Dominique, Tatiana Moukhine, Toni Maag, ainsi que les élèves : Jane Friedrich, Marika Hodjis, Nina Kéthevan ou Janet Haufler, dont plusieurs ont fait hors Carouge des carrières remarquables, comme du reste d’autres comédiennes de passage comme Evelyne Istria ou Michelle Rossignol.

On ne peut pas non plus passer sous silence les décorateurs – Gilbert Koull, qui a marqué les premières saisons, Serge Diakonoff, Roger Gaulis, et surtout, à partir de la saison 1963-4, le tout jeune Jean-Marc Stehlé[1], qui fera une très grande carrière de décorateur et d’acteur : faisant ses débuts à Carouge il y constitue une équipe formidable, avec notamment le futur créateur de masques Werner Strub (c’est avec eux deux que Benno Besson fera L’Oiseau Vert en 1982, et  un menuisier et constructeur de génie, Joseph Wenger.

Toutes et tous ont participé à écrire cette fabuleuse odyssée.


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