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Histoire

L’origine d’un théâtre s’ancre toujours dans un désir de partage. Les théâtres ouvrent, ferment, se déplacent, naissent et disparaissent comme tout être vivant, mais toujours ils donnent à entendre des voix, leurs scènes donnent à voir et à vivre, et toujours quelque chose en ce lieu existe qui n’existerait nulle part ailleurs.

Parce qu’ils oeuvrent à la découverte et la mise en commun d’un récit inventé pour et avec eux, les théâtres sont par essence des espaces politiques ; des espaces où une part du monde résiste aux tempêtes et traverse le Temps. Écrire l’histoire d’un théâtre c’est donc toujours écrire l’histoire d’une aventure humaine indissociable de son époque et de son territoire, avec ce que cela comporte de richesses, ou de manques.

Le Théâtre de Carouge a ainsi plusieurs histoires à raconter. Et par où commencer si ce n’est par le début. Mais nous avons eu envie, pour dérouler ces années où il a écrit ses propres actes, de vous inviter également en ses coulisses, ses marges, de faire des pas de côté et de vous proposer d’autres histoires : celles des femmes et des hommes qui ont travaillé pour lui, celles de ces femmes et de ces hommes auprès de qui l’amour du théâtre a été contagieux, et puis des documents, des images, des interviews, des textes, des questions, afin que cette histoire du théâtre soit à la fin non pas une seule histoire, mais bien ce qu’il est : une infinité de chemins.

Au commencement : un nombre d’or

À Genève en 1947, le Théâtre de La Comédie venait tout juste d’être municipalisé par la ville, qui s’engageait alors à en assurer le subventionnement. Mais afin de diminuer les coûts de la troupe maison, elle avait au passage restreint le nombre des comédiennes et des comédiens.

Parallèlement survint l’ouverture d’un nouveau lieu : le théâtre de Poche, alors dirigé par Fabienne Faby et animé par William Jacques. Il se voulait un théâtre de création, consacrant un certain temps aux répétitions alors que La Comédie avait toujours enchainé les créations en n’accordant qu’une petite semaine d’installation. La première pièce est La putain respectueuse de Sartre. Elle sera suivie de nombreuses pièces contemporaines mais aussi de vaudevilles. Mais un nouveau théâtre offre toujours de nouvelles ambitions au monde du théâtre tout entier, et des initiatives fleurirent alors, portées par l’énergie de troupes à la passion irrépressible. C’est ainsi que fut construit un jour, au lieu-dit la Grande-Boissière, un théâtre antique.

Je ne vois pas de différence de principe entre une poignée de main et un poème.
Paul Celan, poète, Lettre à Hans Bender.

À propos de François Simon

François Simon, c’est l’héritier des talents du couple Georges et Ludmila Pitoëff qui l’accueillent dans leur Cie et accompagnent sa formation. Georges, acteur, metteur en scène, décorateur, traducteur, est l’un des quatre fondateurs de l’association « Le Cartel des Quatre » crée en 1927, regroupant avec lui Louis Jouvet, Charles Dullin , Gaston Baty, et basé sur « l’estime professionnelle et le respect réciproque qu’ils ont les uns pour les autres. » Un collectif qui signe un manifeste, et un engagement.

Le nom de Théâtre de Carouge

François Simon côtoie Jean Vilar (fondateur du Théâtre national populaire et du Festival d’Avignon), et Jean-Louis Barrault. Il est amoureux fou du théâtre et a crée sa compagnie (même plusieurs) : il est prêt. Il engage vingt comédiens, s’engage lui-même, sa femme Jutta Jingero, qui est danseuse, ainsi que leur fille Maya. Il a autour de lui de jeunes comédiens et comédiennes au talent incontestable, notamment Philippe Mentha qui l’assiste dans la mise en scène et qui est à l’origine du projet. En compagnie de Pierre Barrat, le groupe se met alors à la recherche d’une salle où s’implanter de façon permanente et c’est Louis Gaulis, futur auteur maison, qui déniche à Carouge la Salle du Cardinal-Mermillod, ancienne chapelle transformée en salle de paroisse désaffectée et vouée à la démolition. En réalité, le lieu avait été, avant d’être une église, un ancien dépôt de bières, puis un cinéma. Autant dire qu’il était favorable à la mue. Marier une église à un théâtre est un coup de maître, le rapport scène-salle y était miraculeux. La famille s’y installe et prend le nom de : Théâtre de Carouge. En 1957, on fait ainsi de ce qui était promis à la ruine, un élan.

Les années François Simon et Philippe Mentha

1957-1962 sont les années durant lesquelles François Simon et Philippe Mentha, principaux metteurs en scène, développent l’identité singulière du Théâtre de Carouge et fidélisent le public. Il est ce théâtre « à la pointe de la vie » voulut par François Simon, et propose un répertoire d’œuvres classiques autant que modernes (Shakespeare, Goldoni, Tchékhov, Gorki, Brecht, mais aussi Beckett, Frisch ou Ionesco) et créations d’auteurs locaux (Louis Gaulis, Walter Weideli, José Herrera Petere). Qui s’en surprendra : la force y tient alors déjà aux talents des interprètes.

Des quatre fondateurs du théâtre – François Simon, Philippe Mentha, Louis Gaulis et Pierre Bara – aucun ne traversera les années Mermillod de bout en bout. Simon quitte le navire, dont il était directeur artistique, à la veille de la dernière saison. Mentha démissionne à la fin de la saison 61-62, mais collabore aux saisons 62-3 et 63-4, avant de devenir directeur pour la dernière saison. Louis Gaulis, dont trois pièces et deux adaptations sont créées par le théâtre pendant la période, ne fait plus partie de la troupe après Karagheuz; il se consacre à l’écriture mais reste encore plusieurs saisons membre de l’Association du Théâtre de Carouge, qui est la direction collective du théâtre. Pierre Bara décède en juillet 1961 à la suite d’un accident de la route.
Arrivés après les fondateurs, d’autres personnalités jouent un rôle important dans la vie du Théâtre de Carouge d’alors.

Le 4 avril, les clefs sont rendues. Un nouveau Théâtre sera construit, on l’espère, mais il est encore à l’étude et il s’agit maintenant d’organiser un travail hors les murs… Les engins de chantier entreprennent aussitôt la démolition du lieu magique qu’a été la Salle Mermillod.

Au final de ce premier périple, le « peuple » carougeois a entièrement adopté son théâtre qui prend donc son envol. Il passera donc par l’expérience (l’apprentissage) de l’exil, mais prendre la route, être nomade, n’est-ce pas aussi l’essence même du théâtre ?

L'exil (1967-72)

Le 2 avril 1967, quand la troupe fait ses adieux à la Salle Mermillod, elle n’a aucune certitude quant à son avenir. Tout va se jouer durant la saison 67-68, qualifiée de «purgatoire»; il s’agit d’obtenir un relogement provisoire du Théâtre de Carouge et de savoir si, oui ou non, la municipalité entreprendra la construction d’un nouveau théâtre…

III.Le Théâtre de Carouge – Atelier de Genève (1972- ... )

L’union du Théâtre de Carouge et de l’Atelier de Genève forment se traduit par une direction artistique collégiale : Maurice Aufair, Guillaume Chenevière, François Rochaix et Georges Wod. Cette période connaît des réussites, telle la formule de l’«apéritif-théâtre» multipliant de petits formats qui font parler d’eux loin à la ronde et une politique d’accueil dynamique. Elle propose des créations novatrices comme Sauvages de Christopher Hampton ou Lear d’Edward Bond, mais ce tournant résolument contemporain déconcerte parfois le public et la ligne artistique, imprécise, reflète la diversité des personnalités aux commandes. En 1975, on confie à François Rochaix un mandat prolongé pour développer une politique cohérente.

La grande chevauchée de Georges Wod (1981-2002)

Georges Wod renonce à une belle carrière d’acteur sur les scènes parisiennes pour prendre la direction du théâtre à l’automne 1981. Il se donne pour tâche de conquérir un vaste public populaire et quintuple dès sa première saison le nombre des abonnés, qui ne cesse de progresser jusqu’à dépasser 11 000 en 1993-94, autant que le Théâtre National de l’Odéon à Paris !